PRÉNOM OU PSEUDO ◮ Len'
ÂGE ◮ Dans la vingtaine
SEXE ◮ Mâle
Où AS-TU DÉCOUVERT LE FORUM ? ◮ Grâce à ma chérie, ma beauté, ma merveille
QU'EN PENSES-TU ? ◮ Perfecto
FRÉQUENCE DE CONNECTIONS ◮ 5/7, en moyenne
MOT DE LA FIN ◮ Pistache

Adolf Rudnick

La lampe de chevet irradie de sa fine lumière le bureau désordonné. Ce seul et unique éclairage amène une ambiance des plus tamisée au cœur de cette pièce de travail et de création. Un fin filet de fumée s’évapore du cendrier argenté alors que la cigarette y reposant s’est presque entièrement consumée. Le vieux transistor émet la saveur mélodieuse d’un blues délicat et intimiste. La soirée est parfaite pour composer. La soirée est parfaite pour écrire. Fixant la feuille blanche posée dans la machine à écrire, Nathanaël se risque à lancer doucement ses doigts vers une course frénétique sur le clavier.

« Fraîcheur indicible d’une vie sans saveur et d’ores et déjà terminée. Le souffle nocturne est la seule respiration qui anime encore la chaleur glaciale de mon être. Nullement teinté de complainte, je ne fais que cracher la vérité qui entoure la noirceur de mon infirmité et de mon imperfection. Être qui, autrefois, tentait d’atteindre les prémisses de la lumière, je n’en suis que l’amant le plus intime et le plus ardent de la véritable obscurité. Obscurité qui m’accompagne, obscurité qui me transcende, obscurité qui me bouleverse… Sans ton accord, je t’ai d’ores et déjà fait mienne, inutile de m’en retenir ou de s’en voiler la face. Ta douce caresse infernale et macabre demeure le seul toucher que je puisse, non espérer, mais encore tout simplement mériter… »

Pas de joyeuseté ou de mélancolie dans de tels écrits. Notre écrivain en herbe ne cherche aucunement à émouvoir ou à trouver le réconfort. Chaque touche enfoncée n’est que la construction inlassable de ses mots, de ce discours qu’il tient secrètement au fond de lui et qu’il décrit dans la plus parfaite des exactitudes. Il ne peut y avoir de récits heureux lorsque votre réalité ne demeure qu’un ensemble d’échec et d’erreurs destructrices.
Soulignant son paragraphe de trois points de suspension, Nathanaël vient se saisir de son mégot qu’il achève d’une solide bouffée. Le cadavre de la cigarette se retrouve aussitôt écraser dans son sanctuaire alors qu’une autre de ses jumelles retrouve aussitôt la voie de cette bouche droguée et cancéreuse. Le visage du fumeur se penche. La flamme du briquet accentue ses traits de fatigue, d’épuisement et de lassitude. Mais qu’importe l’apparat !

« Cloisonné dans ta prison de solitude et de châtiment, j’accepte mon sort comme étant la seule et unique chose qui puisse encore m’attendre. D’avenir il n’est plus question. Le rêve des jours futurs est enterré avec les tragiques conséquences du passé. Âme damnée condamnée à errer sans but, sans chaleur et sans douleur, mon enveloppe se laisse porter par une nature ne cessant de la désagréger au fil du temps. Certes fou est celui qui tourne le dos à la vie… Mais suicidaire est celui qui se consacre à rechercher vainement la reconnaissance de cette traitresse, de cette catin. Vie, toi qui n’est que sadisme, mesquinerie et souffrance, tu ne seras jamais que le cauchemar du soulagement que représente ton antagoniste : la mort. La mort qui n’est qu’écoute, entente, attention et délivrance de ces entraves abyssales. »

Oui, la vie. Cette entité mystérieuse et indéfinissable qui nous oblige à venir au monde sans même nous consulter préalablement. Cet ‘être’ immatériel forçant nos premiers cris de nourrisson et à accepter le contrat d’enchainement et d’emprisonnement qui nous liera à elle. Car la naissance n’est qu’un instant de joie pour ceux qui enfante mais peut tout autant être le plus grand moment de colère que nous n’aurons jamais d’être ainsi traité en esclave, dans un sentir qui se définit partiellement à l’avance, sans même que nous en possédions le contrôle.
Pourtant, cette vie ne vous parait pas si mesquine durant vos premières années. Pas lorsque vous vous retrouvez dans un quotidien d’amour et d’épanouissement comme fut celui de notre petit Nathanaël de l’époque. Lui, le fils unique. Le prince de ses parents. L’héritier dorloté et choyé outre-mesure. Seul n’avait d’importance que lui, rien d’autre. Cette importance qui vous pousse sur les sommets, sur le piédestal. Cette importance qui vous place alors dans une sphère d’arrogance, de convoitise et de jalousie. Des sentiments narquois et malicieux n’exprimant que la crainte de perdre ce paradis qu’est alors le vôtre.
La main quitte le clavier pour happer un verre d’alcool à moitié vide. Le détective s’en délecte d’une solide gorgée, réprimant une petite grimace aussi caractéristique qu’habituelle à chaque nouvel enivrement de sa part. Son regard est froid, livide. La teinte vitreuse de ses iris trahit son alcoolisme avancé ainsi que les sensations de révolte et d’inexistence qui le transporte. Mort, est-il ou souhaite-t-il l’être ?!

« Meurtre, malice, suspicion. De telles facettes si malsaines et si sombres. L’intérêt qui ne vous encourage nullement à vous tourner vers l’espérance de la bonté humaine ou des bienfaits de la vie. Là où l’enfant laisse son regard pétiller devant les fictions de ces héros de valeurs, là où l’adolescent se complait dans des fanatismes sains et salubres, je ressens l’attirance et la fascination pour le crime, pour le mort. Quel est ce motif qui pousse à tant d’annihilation ? Quel est votre mobile pour franchir les limites d’une loi qui se retrouve subitement bafouée ? Et jusqu’où l’être humain se complait-il dans le mensonge pour se voiler la face quant à sa véritable nature ? Briser les codes, rompre ce silence et transcender cette tempérance soutenue par la vérité ‘mensonge’. Trêves de faux semblants, l’Homme est noir et il n’y a aucune honte à le reconnaître. Seul l’acceptation de cette évidence met en exergue la sagesse d’un autre et le courage d’observer ce qu’il est, ce que les autres sont : plus de mystères ni même de secrets. »

Fils d’un représentant d’assurance, enfant d’une secrétaire de direction. Nathanaël n’avait d’ores et déjà que faire du rang de ses parents, de la situation financière de sa famille et des grandes attentes que pouvaient avoir ses parents aimant le concernant. L’univers capitaliste de cette vie de surenchère ne l’intéressait nullement. Perdre du temps à courir dans des métiers et des univers qui nous exaspéraient d’avantage juste pour remplir son désir d’avoir la mainmise sur le dollar. Ce dollar qui vous fait vivre, manger, voire survivre dans certaines situations. Pauvreté ou richesse, notre détective ne désirait que répondre à l’appel de ses envies et de ses attirances…
Etudier la criminalité, comprendre la logique de personnages fous et totalement détraqués. Délaisser une soirée cinéma entre amis ou des sorties arrosées pour demeurer chez soi à observer des reportages sur les plus grands tueurs en série de notre temps et de notre passé. Comics, mangas et autres bandes dessinées troquées contre des romans policiers et des films noirs, sombres, obscurs, enrobés de leur détresse et de leur déprime. Il n’existe nulle autre saveur que cela. Nulle autre saveur capable de faire naître cette étincelle dans le regard d’un homme dont le chemin se trace déjà purement et simplement. Adieu les souhaits de parents trop attachés à leur rang, bonjour la psychologie, bonjour la criminologie. Bonjour les sentiers de l’investigation privée.
Le regard de notre auteur parcoure les quelques mots déjà écrits. Ses iris ferment posés sur le papier, l’hésitation vient caresser leur surface dans une fine étincelle à peine perceptible. Sans s’en rendre compte, le principal intéressé ravale le bord de sa lèvre inférieur pour la mordiller avec nervosité. Ainsi se permet-il un soupir et de fermer pratiquement les yeux avant de perpétuer son écriture.

« Mais faibles sommes-nous fait, l’obscurité connait irrémédiablement cet instant où elle vacille, où les nuances commencent à s’éclaircir sans même que nous le voyons venir. Cette seule et unique surprise qui demeure aussi inexplicable que bien heureuse. La surprise par laquelle vous vous risquez à redonner goût et foie à cette existence bâtarde et enveloppée de sa vilénie. Le regard, la beauté, l’entente, la femme. Oui, la femme… Ce seul talon d’Achille de tout homme abruti par le simple appel du désir et de la passion. Cette même personne qui vous force à changer votre nature, à l’adapter selon ses propres besoins. Cet individu entrant dans votre quotidien et le partageant au prix de lourds sacrifices que vous faites aveuglément. Et dans quel but ? Celui de nous rassurer. Celui de nous faire voire la réalité de ce rêve comme concrète et perpétuellement possible à condition que nous continuions de sacrifier, encore et encore. On se perd et on se fond dans ce que l’on croit être l’amour… Sans même en être pour autant réellement atteint, si ce n’est pas la simple illusion ! »

Oui, à cette époque, Nathanaël n’était qu’un jeune détective fraichement sorti de ses études et lançant tant bien que mal son affaire. L’homme passionné par sa vie et son travail qui a croisé le chemin de cette femme qu’il s’est cru aimer. Passion charnelle, plaisir physique mais, le cœur en avait-il été pris en otage pour autant ? Lorsque vous découvrez de telles émotions, vous pensez simplement avoir mis le doigt sur ce que l’on nomme : l’Amour.
La main se pose sur la tête de Nathanaël. Le souvenir continue de l’empoisonner. Difficile de prendre conscience que cette douleur nous terrasse et que nous nous y rattachons en même temps pour continuer à vivre. Continuer à vivre car encore capable de ressentir une once d’émotion et de ressentiment. Continuer à vivre pour continuer de se flageller de sa culpabilité. Mais, surtout, continuer à vivre pour en vouloir à cette victime, à rager contre son âme et de la manière dont elle vous aura corrompue.
Lorsqu’il saisit sa cigarette, le geste de l’auteur devient beaucoup plus sec et nerveux. La main libre, posée à la surface de son bureau, commence à tapoter du bout de ses doigts. Trace d’impatience de cracher ce qu’il renferme en lui mais doit taire aux yeux de tous…

« Criminel suis-je… Mais criminel victime de la trahison. Tout donner, tout changer, tout sacrifier pour n’avoir que comme unique récompense la trahison de tout ce que vous avez voulu bâtir. N’être que le dindon d’une farce gigantesque. N’être que la loque et la larve que l’on jette avec négligence sans le moindre respect. Le déchet humain que vous deveniez car tout s’écroule autour de vous en vous faisant prendre conscience de l’immensité de toute cette mascarade. Prendre alors conscience que vos dernières années ne méritèrent que la simple moquerie de l’autre. Où l’on en pleure, où l’on s’enorgueillie. Coupable et innocent à la fois. Pas totalement criminel mais plus totalement écarté de tout soupçon. Mon geste reflète parfaitement l’absence de blanc ou de noir dans l’existence. Mon acte est le visage même de cette teinte grisâtre que représente la vie. Une main, un geste, une chute… Et je n’ai qu’à regarder son cadavre qui… »

Ce cadavre qui a été l’élément déclencheur pour sa solitude, pour sa destruction et pour son accident. Ce cadavre qui représente tout ce dont il a plus honte et tout ce qui la jamais réellement soulagé après tout ce temps à être trompé et cocufié sans la moindre gêne, sans la moindre retenue. Ce cadavre auquel, du vivant, il disait je t’aime et acceptait. Ce cadavre qui aujourd’hui n’a plus un seul regard ni même trace de respect et d’honneur de la part de son assassin.
Mesquine, sadique, la vie a puni Nathanaël en le condamnant à cet accident, en le condamnant à son fauteuil. Il ne sera plus jamais rien qu’un de ses déchets imparfaits peuplant les rues de cette ville, de ce pays, de ce monde. Crime : la triste colère. Condamnation : l’infirmité. Sentence : la solitude. Le funambule marche sur un nouveau fil, beaucoup plus fin et fragile que les précédents et sans qu’aucun filet ne se trouve en-dessous pour le protéger. Une chute sera mortelle. Un faux mouvement sera définitif… Et le détective n’attend tout simplement que cet instant précis où tout terminera de basculer au lieu de le faire demeurer dans cette attente de finition complète et totale de sa propre annihilation.
Ses mains relâchent le clavier de sa machine à écrire. Une main brusque arrache le papier écrit et le chiffonne afin de l’envoyer valser dans la corbeille de son bureau. Tout cela est inutile, tout cela ne sert à rien. Il écrase son énième cigarette avec la mine sombre et grave. Du bout de ses bras, il prend les commandes de son fauteuil. Il tourne ses roues et se dirige vers le salon. Une autre bouteille de whisky l’attend. Une autre nuit blanche, une autre nuit de solitude tumultueuse. Non, il n’existe aucune échappatoire.