Rafa… ? Rafael, tu m’entends ?Quand j’ai entendu qu’on m’appelait, j’ai ouvert les yeux, comme lorsqu’on se réveille d’une longue sieste faite dans l’après-midi. Ouais, vous savez… quand vous n’arrivez pas à dire ni quelle heure on est, ni quel jour. Dans ma tête, une phrase de réponse s’était déjà formée à la question qu’on venait de me poser, mais aucun mot ne sortit de ma bouche car mon cerveau n’avait, apparemment, pas fait son job de transmission. Je tournais le visage vers la voix qui me semblait plus ou moins familière mais fus incapable de discerner le moindre halo de lumière, ce qui eu un effet coup de poing pour moi. J’étais donc plongé dans le noir et je n’y voyais plus rien, alors, par réflexe, j’ai commencé à angoisser jusqu’à ce qu’une infirmière arrive pour s’occuper de ma crise d’hyperventilation. Ca a du être sympa… surtout pour ma sœur qui a vécu ça en direct, tandis que moi, je ne m’en souviens plus vraiment.
Voila en gros ce qui s’est passé y’a un mois, après que je me sois réveillé d’un accident de scooter qui aurait pu être tout à fait bénin si j’avais mieux fermé mon casque de sécurité. Se remettre pleinement d’un traumatisme crânien comme celui que j’ai eu, c’est mission impossible. On me l’a dit et répété à l’hôpital et j’avoue que ça me déprime pas mal, même si je n’en parle pas. Aujourd’hui, j’ai retrouvé la vue ainsi que la plupart de mes autres capacités sensitives. J’arrive à parler, aussi, alors que j’avais pas été capable de prononcer un mot pendant deux semaines entières, mais hors de question de me laisser faire la cuisine car je laisse parfois tomber ce que je tiens dans mes mains, si ce n’est pas moi qui tombe à cause d’une perte d’équilibre. Gros boulet, je suis, et pleinement conscient de ce qui m’arrive quand mon corps ne réagit pas, en plus de ça ! Mais vous ne savez pas, vous, que c’est juste impossible pour moi d’agir sur mes mouvements, quand ils font n’importe quoi ou que mes phrases n’ont aucun sens… ou que j’arrive juste pas à calculer 2x5 parce que ça bug dans le cerveau. Ouais. Je n’aime pas vraiment utiliser ce mot, mais je suis officiellement reconnu comme « handicapé » par les assurances… et c’est ma sœur qui s’occupe de moi, financièrement parlant. Je peux pas travailler, je peux à peine rester sans surveillance (ce qui fait que je suis collé à ma chambre d’hôpital en semaine) et… en fait, la liste de ce que je peux pas faire est finalement plus longue que celle des choses qui me sont autorisées. Vous avez le topo de la situation actuelle ? Bien ! Si je devais résumer le tout en un mot, ce serait sans doute la culpabilité. Culpabilité de faire subir un truc pareil à Jordan (ma frangine), d’être un poids, de ne plus pouvoir l’aider au niveau financier et d’être même devenu une charge supplémentaire à ce niveau-là, même si on nous verse des indemnités pour ma « maladie ».
Ah, la maladie… on connaît ça, dans notre famille.
Bon, je vais reprendre les choses depuis le début, je crois, là… qu’est-ce que vous en pensez ?
Voila. Alors, d’aussi longtemps que je me souvienne et selon ce qu’on m’a dit, je suis probablement né à Chicago. Pour une raison qui m’est inconnue mais qui ne m’intéresse pas plus que ça, mes géniteurs m’ont donné à l’adoption dès ma naissance, je crois, et c’est Mme Baker qui m’a recueilli chez elle. Cette femme vivait seule avec sa fille et pour moi, elle a été et sera toujours la seule mère que je reconnaîtrais. Elle m’a élevé, éduqué, aimé et entretenu comme un membre à part entière de sa famille, ce qui fait que je n’ai jamais eu de raisons de ne pas me considérer en tant que tel.
Même si j’ai du vivre sans père à mes côtés, j’avais Gaalad, le meilleur ami de ma sœur, comme présence masculine et je n’ai jamais eu à me plaindre de mon enfance, ni de la première partie de mon adolescence. Après tout, j’avais une famille soudée et un bon encadrement… que me fallait-il d’autre ? J’ai nagé dans le bonheur pendant de longues années et c’est d’ailleurs bien ce qui m’a rendu comme je suis aujourd’hui (malgré que j’aie tout de même mon caractère bien en place…). Rien ne semblait pouvoir venir briser cet équilibre… et pourtant, si.
Pour notre plus grand malheur, nous avons appris il y a environ cinq ans que ma mère était tombée gravement malade… c’est là que les ennuis ont commencé. J’étais jeune, mais cela ne m’a pas empêché de comprendre que les frais des soins pesaient lourd sur nos épaules. Lors que Jordan a du se mettre à travailler et que le budget du ménage a été revu à la baisse, j’ai cherché discrètement un moyen de me trouver un apprentissage au lieu d’aller au lycée. Il fallait de l’argent et nous allions le trouver : c’est ainsi que je me suis engagé dans ce merveilleux métier d’avenir qu’est celui de boucher ! Je ne sais pas, c’est le premier truc où on a accepté de m’engager et ça avait l’avantage de me permettre de ramener gratuitement de la viande à la maison. À la longue, j’ai finis par me plaire à mon poste, même si en faisant des études, j’aurais sans doute pu avoir un meilleur boulot et un meilleur salaire. Que néni ! Au moins, je ramenais des sous et je savais manier le couteau, au cas où je décidais de me reconvertir en serial killer plus tard.
Bon… je vous passerai les détails pour la suite de mon histoire, parce que je n’ai pas envie d’en parler… mais sachez que ma mère n’a pas survécut au mal qui la rongeait. Un coup dur, émotionnellement, bien sûr… et que cela n’a fait qu’empirer les choses au niveau financier. J’avais 16 ans, à l’époque, j’étais donc encore un gamin, mais je peux affirmer avec certitude que j’ai su gérer ça comme un grand. Ma sœur et moi étions plutôt matures et responsables, alors on a su passer par-dessus cette épreuve tant bien que mal, même si ça a laissé ses traces. Néanmoins, je peux dire avec une certaine assurance que ça nous a rendus plus forts. Le seul problème qui se posait encore (et non des moindres), c’est que comme j’étais mineur, il a fallut se battre pour que Jordan obtienne ma garde. Bataille difficile que nous avons mené à deux (enfin, je crois… j’ai essayé d’y mettre du mien, en tout cas) et de laquelle nous sommes ressortis vainqueurs ! Histoire mouvementée que la notre, n’est-ce pas ? Si seulement ça s’était arrêté là… mais non… il a fallut que j’aie un accident. Putain… qu’est-ce que je m’en veux. Dans cet état, je ne suis qu’un poids supplémentaire pour ma frangine et tout ça aurait pu être évité si je n’avais pas pris mon scooter le jour où je me suis fait rentrer dedans.