- Emmanuel. Tu avais dit que l'on devait se marier. Tu m'avais promis qu'un jour, nous pourrions être fiers de nous, de notre amour. Mais tu as pas tenu tes promesses, hein ! Tu es parti avant que je sois la femme de ta vie. Tu m'as quitté, me laissant seule avec mes larmes. Mais le pire, c'est que je ne pourrais jamais te faire payer cela. Tu es mort, emporté par une maladie que tu m'avais cachée. A ta femme, tu mentais sur nous, lui cachant notre relation. A moi.... cela ! Si j'avais su que tu allais mourir, si j'avais su que j'allais te perdre, j'aurais essayé de m'y préparer. Mais là, le choc est trop brutal. Je ne peux pas m'en remettre, je le sais d'avance....

Sinead passa sa main sur la croix, juste devant la tombe. Son coeur serré dans sa poitrine, douloureusement compressé, elle priait pour que la douleur qu'elle ressentait maintenant s'en aille un jour. Mais cela était bien peu probable. Elle se connaissait. Voilà deux jours que Emmanuel était mort, succombant à une maladie qu'elle ne lui connaissait pas. Elle l'avait appris au théâtre où ils travaillaient tous deux. C'était le patron qui leur avait annoncé. Bien entendu, toute la troupe était au courant pour la relation entre Sinead et Emmanuel. Et tous s'étaient gentillement proposés d'aider la jeune femme à faire son deuil. Mais Sinead aurait tellement aimé plus. Elle aurait tellement aimé pouvoir le pleurer comme il l'aurait mérité. Pouvoir aller à cet enterrement en tant que petite amie, fiancée, peut-être même épouse du disparu. Pas simplement en tant qu'amante cachée sous le titre plus flatteur de collègue de travail. S'agenouillant devant la tombe, elle ferma les yeux un instant, laissant une larme couler sur sa joue. Une larme unique. Elle en avait tant verser ces deux derniers jours qu'il lui semblait qu'aucune autre ne pouvait couler. La douleur en elle était insupportable. Elle sentait tout son être se briser en des milliers de morceaux. Irréparable. Déjà, la jeune femme n'avait jamais été proche de sa famille. Mais là, elle sentait que plus jamais, elle ne pourrait les voir. Comme plus jamais, elle ne pourrait voir personne. Elle avait envie de rester enfermée chez elle. Elle n'avait même plus envie de se nourrir. Plus envie de vivre. Elle avait 34 ans et Sinead désirait déjà la mort plus que tout au monde. Déjà quand elle était enfant et qu'elle avait commencé à avoir cet amour pour le théâtre et le cinéma, sa famille s'était doucement éloignée d'elle, la laissant seule dans cet univers dont ils ne partageaient pas la passion. Mais Sinead n'avait pas été abandonnée non plus. Elle avait un frère et une soeur avec qui elle s'entendait bien, tout de même. Mais quand elle avait rencontré Emmanuel, à l'âge de 24 ans, pendant ces études de comédienne, elle avait doucement vu sa soeur s'éloigner pour ne plus jamais lui parler. Emmanuel était déjà en couple depuis deux ans, et lui et Mary étaient fiancés. Sinead le savait, alors. Elle aurait du partir pour ne plus jamais le revoir, et ne surtout pas laisser ses sens prendre le pas sur sa raison. Mais, elle n'en avait pas eu la force, alors. Et elle s'était doucement, lentement laisser embourber dans ce qui était la relation la plus difficile qu'elle n'ait jamais eu. Elle était tombée amoureuse de cet homme au point qu'elle ne vivait plus que pour lui. Elle ne pensait que par lui. Et être loin de lui avait toujours été douloureux, même après dix ans. Comme beaucoup d'hommes dans ce cas, il lui avait promis de quitter Mary pour l'épouser elle. Et elle l'avait stupidement cru. Elle avait cru en cette douce promesse. Quelle idiote ! Bien que qu'il ne l'aurait jamais quittée. Et pour la bonne raison qu'elle savait pour sa maladie, elle. Pour la bonne raison qu'à elle, il ne lui avait pas caché. Et cela en disait long sur les sentiments qu'il avait eu pour elle. Mary. Sa rivale, mais aussi une femme qu'elle respectait et enviait. Un respect du au fait qu'elle avait su, elle, lui faire avoir pleine confiance. Écrasant son poing sur la terre fraîchement retournée, Sinead hurla.

- Je t'aime, putain ! Je t'aime encore.

Tremblante par la peine et par le froid de la nuit qui tombait sur Chicago, elle se recroquevilla sur elle-même, assise maintenant sur le sol gelé par l'hiver. Si elle pouvait mourir ici, à ses côtés. Si elle pouvait disparaître de la surface de cette Terre. Si elle pouvait le retrouver, lui. Elle aurait tellement aimer que son coeur s'arrête enfin, qu'il cesse de battre ainsi. Un battement ridicule d'une chose qui voulait demeurer tout en sachant qu'elle n'en avait plus la force. Elle mourait de froid. Les couleurs avaient quittés son visage. Elle donnait presque l'impression d'être déjà morte. Mais n'était-ce pas ce qu'elle était en elle ? Morte. Seuls ses organes continuaient de fonctionner, la privant de ce qu'elle désirait ardemment. Plus ardemment qu'elle n'avait jamais rien désiré d'autre en 34 années d'existence.


Allongée sur son lit, Sinead ne pleurait plus. Non pas qu'elle n'en ait pas envie. Juste pas la force. Plus la force. Bientôt, on passerait à une autre journée. Bientôt, les gens qui avaient assistés ç l'enterrement d'Emmanuel et qui n'étaient pas elle ou Mary passeraient à autre chose. Ils n'oublierait pas celui avec qui ils avaient eu un certain lien, mais ils avaient eu vie en dehors d'Emmanuel. Et c'était normal. Mais elle, elle ne pourrait passer à autre chose. Pour la simple et bonne raison qu'en dix ans, elle n'avait jamais vécu pour personne d'autre que pour lui. Toujours tremblante, les yeux clos, elle cherchait ce sommeil qui venait la chatouiller sans jamais la prendre dans ses bras. Alors, comme elle faisait depuis deux jours, elle se redressa et s'empara d'une petite boîte de médicaments. Des somnifères. Le seul moyen pour elle de dormir. Elle en avala un. La tentation d'en prendre plus - pourquoi pas les dix-sept qu'il restait - était forte. La mort semblait s'approcher d'elle pour lui dire de venir, de ne pas avoir peur. Mais Sinead résista. A y penser, elle savait que jamais Emmanuel n'aurait accepté qu'elle se tue pour lui. Alors, elle reposa la boîte.