C'est une de ces journées où tu sais pertinemment en te levant que ça va foirer, que tu vas droit dans le mur mais que tu sais pas encore comment ni pourquoi. Il fait pas jour quand tu te lèves, il fait toujours pas jour quand tu embrasses le front d'Ulysse et que tu pars, le laissant au bon soin de ta soeur. Ca demande beaucoup d'efforts ton boulot, beaucoup de sacrifices. Mais t'en récoltes les fruits, tu mènes une vie de dingue, tu permets à ta famille de vivre sereinement. Que demandez de plus ? T'as besoin de rien, tu veux avoir besoin de rien d'autre en fait. C'est plutôt ça la vraie réponse. Les femmes sont éphémères dans ta vie et c'est très bien comme ça. Quelques heures, une nuit peut-être dans ton lit et puis elle disparaisse. Tu les fais disparaître. Tu veux pas de ça dans ta vie, ni dans la vie de ton fils. Tu t'es forgé une carapace inaccessible, une forteresse et bizarrement ça les attirait encore plus. Juste incompréhensible.

Comme tous les matins t'avais fais la navette entre les deux boutiques pour mettre la main à la pâte, voir si tout se passait bien, si on serait dans le temps. C'était toujours le rush sur les boutiques tous les matins. Les gens faisaient la queue sur des mètres et des mètres pour manger les produits de tes pâtisseries, s'arrachaient tes livres de recette, suivaient toutes les émissions où tu passais. C'était à se demander comme les choses pouvaient changer à ce point. The American Dream. Le rêve américain. C'était véritablement ce que tu vivais. Un rêve éveillé. Même si cette matinée ressemblait à un cauchemar. Une des vendeuses était malade et l'autre de repos. C'était à toi de faire l'encaissement. Les gens étaient étonnées de te voir et prenait d'autant plus leur temps pour parler avec toi alors que le temps pressait. Mais je souriais, cette faculté que j'avais à jouer la comédie me servait vraiment dans chaque sphère de ma vie. Et heureusement parce que quand j'avais croisé son regard, entendu sa voix, j'ai cru un instant que j'allais m'écrouler. Constance. Non...

« Je.. Mh.. Bonjour, je... Deux muffins au chocolat et quelques minutes de ton temps ?! S'il te plaît ! »

T'es resté con un moment. Les gens aussi sans doute. Tu te demandais ce qu"ils pensaient. Toi dans ta tête c'était Tchernobyl. Véritablement. Et t'as fais un truc complètement con. Archi con. T'as juste dis:

« Va m'attendre dehors. »

Pourquoi ? Pourquoi est-ce que dans ta connerie infinie tu l'as pas envoyé bouler ? Pourquoi t'as pas feins de pas la connaître, qu'elle ne soit plus qu'une inconnue putain ? T'avais attendu qu'elle sorte, qu'un client passe, puis un autre, en songeant à comment t'allais te débarrasser de ça, d'un moyen pour pas la retrouver dehors. Mais non. T'étais tout sauf un lâche. Non. T'allais l'affronter. Alors t'avais demandé qu'on te remplace en caisse. Comme si on allait te refuser ça. Après tout, t'étais le patron ici. Tu t'étais débarrassé de ton tablier et de tout le reste. Tu t'étais lavé les mains et t'étais sorti dehors. Elle était là, à t'attendre le long du mur de pierre. Tu lui avais fais signe de te rejoindre dans cette ruelle entre les deux bâtiments. Tu voulais pas qu'on vous voit, tu voulais pas qu'on jase. Les potins faisaient déjà les choux gras de toutes tes aventures. Tu voulais pas qu'il s'empare de ça non plus. Surtout pas.

« Qu'est-ce que tu fais là ? »

« Ecoute, je suis vraiment désolée… Pour tout ce que j’ai fait ou plutôt, ce que je n’ai pas fait. Je me suis jamais excusée pour ça et, je voulais que tu le saches. »

Tu te mets à rire mais ce n'est pas drôle, franchement pas drôle. Tu rigoles pour ne pas pleurer, tu rigoles pour ne pas péter les plombs. Mais tu pètes les plombs en quelque sorte puisque que tu rigoles, et que ce n'est pas drôle, non pas drôle. u

« Désolée, tu dis ? Tu te pointes comme ça après 4 ans et tu es juste désolée ? Non désolée mais non. Ca suffit pas. Ca marche pas comme ça. On revient pas dire qu'on est désolé dans ces cas-là. On revient pas du tout. »

Tu la regardes. Tu es furieux mais tu la quittes pas des yeux, tu la regardes durement mais tu la vois. Elle occupe tout ton champ de vision. Elle a changé, elle a grandi, mais elle est toujours aussi belle. Tu savais quand tu l'avais connu que cette histoire n'était qu'une mauvaise idée mais tu avais cédé quand même. Tu te doutais juste pas à quel point t'allais te planter. Tu pensais que tu allais la faire souffrir et en fait c'est elle qui t'avait fais souffrir. Ironique non ? La vie est mortellement ironique.
Tu te souviens de la gamine innocente et lisse que tu as rencontré et tu essaies de la superposer à cette fille-là, devant toi. Non tu veux pas, tu veux pas projeter, tu veux pas poser de questions. Tu veux qu'elle s'en aille. Qu'elle sorte de ta vie comme elle l'a fais y'a 4 ans déjà. Qu'elle sorte de vos vies. Tu tripotes nerveusement ton tablier. Tu t'essuies nerveusement les mains, en guerre contre les derniers grains de farine qui aurait pu s'y attarder, en guerre contre elle, en guerre contre toi. Tu te douterais pas qu'elle manquerait déjà de te foutre en l'air juste en se repointant. Mais c'est classique pourtant, t'aurais du t'en douter, qu'elle reviendrait au moins une fois, un jour ou l'autre, t'aurais dû anticiper. Parce que c'est tout elle, de culpabiliser. C'est tout elle de faire machine arrière. Mais elle oublie que toi t'es pas du genre à pardonner. Toi t'es rancunier jusqu'à la mort.

« Si c'est tout ce que t'avais à dire, tu peux reprendre l'avion. Moi j'ai du boulot. »