Elle adorait ce genre de soirées. C’était tout à fait sa tasse de … vodka. Et quand sa meilleure amie lui avait annoncé qu’une soirée speed-dating se préparait, elle n’avait pas hésité bien longtemps avant d’accepter de s’y rendre. Détrompez-vous, ça n’avait rien à voir avec les hommes. Car elle était plutôt jolie et quand elle voulait bien faire un effort pour se montrer sous son meilleur jour, elle rayonnait comme un soleil. Bon, je vous l’accorde, le soleil, il avait un peu tendance à tanguer. Mais il n’empêchait qu’elle pouvait se montrer très séduisante, à défaut d’être charmante. En réalité, si elle aimait tellement ce genre de soirées, c’était simplement pour pouvoir profiter du champagne et pour avoir une excuse pour ressortir ses plus jolies robes, dans lesquelles elle rentrait toujours à merveille. Et ce soir, le champagne coulerait sans doute à flot. Oui, c’était mal de penser à ce genre de choses, mais très honnêtement, elle ne pensait généralement à rien d’autre. Que pouvait-il y avoir de plus important que cet alcool qui venait brûler sa gorge. En plus, pour une fois, elle ne passerait pas la soirée toute seule. Et c’était bien tout ce qui comptait finalement.

Elle c’était donc rendue, avec un certain empressement et une certaine joie de vivre à cette soirée au sein d’un lieu qu’elle avait fréquenté par le passé … Quand elle était encore quelqu’un, quand son nom avait encore de l’importance pour quelqu’un. C’est-à-dire il y a fort longtemps, si on prenait en compte qu’elle ne dansait plus depuis plus de dix ans. Ah, sacrilège ! Dire qu’un jour, elle avait fait partie des grands. C’était bien lointain, désormais. Quoi qu’il en soit, ignorant ces tourments qui la bousculaient généralement, la grande dame laissa ses talons claquer sur le sol, sa robe à volants noires flirtant avec ses chevilles fines. Et une jeune femme dont elle ignora délibérément le nom l’accompagna à l’une des tables, où elle était sensée attendre. Comme à son aimable habitude, elle ne remercia pas la jeune femme, se contentant de l’ignorer royalement, comme si elle était une … Lady. Et c’est un verre de ce délicieux champagne à la main, qu’elle attendit son premier prétends. Et elle manqua de s’étouffer en voyant arriver un homme brun de bel allure, mais qui n’était autre que le père de l’une de ses élèves, qu’elle adorait martyriser. Et …. Comment dire … Elle n’avait aucune envie de le voir ?

- Oh non … Pas vous ! J’aime autant vous dire que je ne suis venue ici que pour siroter du champagne, pas pour faire une psychanalyse ♪

Je n’ai pas la moindre envie de vous voir ici
Vous qui passez votre temps à me faire la morale
Disparaissez donc de mon champ de vision
Puisque nous n’avons strictement rien à nous dire
Je vous hais, vous le savez

♥

Finalement, peut-être cette soirée n’avait-elle rien pour lui plaire. Car si elle devait se retrouver face à des gens comme Benjamin Lehmann, elle allait très vite perdre patience. Ce n’était pas qu’elle ne l’appréciait pas, non. C’était qu’elle avait une furieuse envie de lui arracher la tête. Après tout, il passait bien son temps à se mettre en travers de son chemin, tout ça parce qu’elle était soi-disant trop dure avec sa petite fille chérie. Mais il ignorait à quel point elle pouvait en effet être dure, tout comme il ignorait totalement ce qu’il fallait faire, dans l’univers de la danse, pour arriver aux sommets. Ce n’était certainement pas en attendant la gloire, que la gloire viendrait à elle. Elle devrait travailler, elle devrait suer eaux et sang et elle devrait souffrir pour arriver au top. C’était à cette condition uniquement qu’elle se ferait un nom dans ce milieu et qu’elle arriverait peut-être à quelque chose. Et encore fallait-il qu’elle ait le talent pour atteindre des sommets, ce qui n’était pas gagné d’avance. Enfin … Fronçant sensiblement ses délicats sourcils qui ne formèrent plus qu’une ligne sur son front, la Grande Dame se redressa sur son assise, avant d’éclater d’un rire sans joie.

- Une associable ? Allons, allons, je veux bien croire que j’ai des défauts mon cher ami, mais de là à prétendre que je ne suis qu’une associable, n’est-ce pas tout simplement légèrement exagéré ?

Elle leva les yeux au ciel, dans un geste exagéré. Puis, elle porta sa main sur la fine pochette dorée qui complétait sa tenue, qu’elle ouvrit d’un geste brusque. L’attache sauta et elle en sortie une cigarette, qu’elle plaça sur son fumoir en argent. Le cliché par excellence, en somme. Eh oui, les amis, le diable à du goût, que voulez-vous.

- Puis-je ?

Mais elle n’attendait de réponse, pas plus qu’elle n’attendait la moindre approbation. Ce n’était qu’une question rhétorique, à laquelle elle lui conseillait vivement de ne pas répondre. Ce n’était comme si elle avait dans l’intention de l’écouter de toute façon. Elle était bien assez grande pour prendre ses décisions toute seule. Aussi, elle profita de la flamme de la bougie pour allumer sa cigarette, aspirant une bouffée de fumée, qu’elle recracha en sa direction.

- Je dirais, pour vous répondre très cher, que je ne martyrise pas votre fille, je lui apprends simplement comment être la meilleure. Que croyez-vous ? Qu’il lui suffit d’être mignonne ? Laissez-moi vous dire que le monde de la danse est un monde impitoyable. Mais peut-être que vous préfèreriez que je la materne et qu’elle ne devienne qu’une moins que rien ? C’est à votre convenance monsieur. Mais vous savez aussi bien que moi que de nous deux, je suis la seule à savoir de quoi elle a besoin, artistiquement parlant au moins. Alors … Si vous restiez mignon et que vous me laissiez faire mon travail ?

C’était osé, surtout quand on savait qu’il était celui qui payait, pour ces cours de danse. Mais d’un autre côté, elle s’en fichait pas mal. Elle s’était faite un nom dans ce métier et beaucoup de jeunes filles souhaitaient recevoir d’elle de précieux conseils, alors, elle pouvait s’autoriser à être sélective. Sans compter qu’elle ne manquait pas d’argent, bien qu’elle le dilapide très rapidement en alcool fort. Un fin sourire se dessina sur ses lèvres tout de rouge maquillées, avant qu’elle ne porte la coupe de champagne à ses lèvres. Elle croisa alors les jambes, aspirant une autre bouffée de fumée, tandis qu’elle le dévisageait avec insistance.

- Et vous, très cher monsieur, que faites-vous de votre vie … en dehors de me faire perdre mon temps avec vos sottises, cela va sans dire.

Je n’ai aucune envie d’accepter votre présence
Mais nous pouvons bien nous montrer civilisés
Alors allez-y, je vous en prie, parlez

Je n’ai envie de vous écouter
Car vous m’exaspérez
Mais qui le sais
Cela pourrait bien changer

♥

La Grande Femme qu’était Abiagael O Briain se retrouvait là en face du père de l’une de ses élèves, un homme qui lui tapait particulièrement sur le système nerveux. Il était … un peu comme les cafards, toujours dans ses pattes sans qu’elle n’arrive à s’en débarrasser. Et elle était sûre qu’il était parfaitement capable de survivre au froid, aux flammes et même à une attaque nucléaire, simplement pour le plaisir de l’emmerder encore et encore, simplement pour le plaisir de ne jamais lui foutre la paix. Mais elle était bien loin de s’en laisser surprendre. Car de toute sa classe, la jeune femme parvint à lui adresser un sourire éblouissant, sourire destiné à lui faire comprendre que ses remarques ne l’atteignait d’aucune manière. Après tout qui était-il exactement ? Personne, si ce n’était un homme particulièrement agaçant qui souffrait visiblement de frustration sexuelle qu’il n’arrivait à assouvir, raison pour laquelle il semblait, sans doute, si coincé et si … ennuyant.

- Entre nous, monsieur Lehmaan, votre avis m’importe autant que … J’ai pas d’exemple là sous la main. Mais au cas où vous n’auriez pas compris, votre avis, je m’en balance, compris ?

Et sans attendre une réponse à cette question, la grande femme porta son fumoir à ses lèvres. C’était une habitude particulièrement prétentieuse qu’elle avait pris, mais à la vérité, si elle aimait sentir la fumée envahir ses poumons, elle détestait l’odeur de tabac froid que laissait la cigarette sur ses mains, quand elle ne l’utilisait pas. Ce socle argenté été le seul moyen qu’elle avait trouvé pour lutter contre cela et qu’importe si cela lui donnait l’air d’une bourgeoise. Au contraire, elle estimait plutôt être d’une certaine classe. Et si ça pouvait tenir les blaireaux éloignés … Quoi que non. A en juger par la présence du bel homme, ça ne tenait pas les blaireaux éloignés.

- Vous m’agacez, monsieur Lehmaan.

Un grognement vint accompagner cette remarque, tandis qu’elle se redressait sur sa chaise. Il était en réalité en train de lui taper sur le système nerveux. Il ne cessait de la provoquer, de la charrier et elle commençait tout doucement à perdre patience, face à un homme qu’elle méprisait tellement … Tout comme sa fille d’ailleurs. Car si elle était en effet douée, son côté nunuche lui déplaisait. A moins que ce ne fût simplement son père, qui lui déplaisait. Ce qui était fortement si vous voulez mon avis.

- Vous parlez d’une carrière ratée ? Je parle plutôt d’une carrière terminée trop tôt. Oui, je n’ai pas eu l’occasion de poursuivre bien longtemps, mais j’ai eu plus de renommée durant ces courtes années que votre fille n’en aura jamais, suffisamment pour qu’aujourd’hui encore, on fasse appel à moi pour conseiller les plus grands. Que vous vous moquiez ou non, je fais partie des grands noms de la danse, en toute modestie et si vous continuez à m’emmerder, vous n’aurez cas emmener votre fille chez un professeur médiocre, là où elle a sa place. Je ne prétends pas vouloir le bien de votre fille, simplement savoir ce qu’il lui faut. Et si cela ne vous convient guère, je vous suggère d’aller voir ailleurs.

Décroisant ses longues jambes, la belle femme les recroisa dans l’autre sens. Le discours avait été débité comme s’il avait récité par cœur, sans le moindre état d’âme et sans que la moindre émotion ne vienne parcourir son visage à la peau nacrée. Car elle avait une chose, durant sa vie, c’était de rester digne quelques soient les circonstances. Ne jamais courber l’échine et ne jamais flancher devant l’adversaire. Et elle ne flancherait pas, parole d’O Briain. Ignorant délibérément le métier barbant qu’il annonçait et n’ayant aucune envie de se lancer dans un discours sur les parents décédés, la jeune femme enchaîna directement sur ses occupations.

- Eh bien … Je bois du champagne pendant des speed-dating, en compagnie d’hommes barbants et prétentieux. Et vous, avez-vous d’autres loisirs, en dehors d’emmerder les gens ? Je me suis toujours posé la question.

J’ai cru me tromper
A votre sujet
Mais vous êtes bien pire
Que ce que j’imaginais
Je peux alors continuer à vous maudire
Sans avoir de regrets.


♥