« Ce soir. Dix heures. En bas de chez moi ». Et elle raccroche le téléphone. Elle n’a rien à ajouter, elle n’est pas de nature très bavarde. Dis comme cela, ça pouvait faire très proposition indécente, quand on pensait. Et en fait, c’était un peu le cas. D’une manière ou d’une autre. C’était toujours ainsi qu’elle s’adresser à Edwin et il devait en avoir l’habitude à force après tout. Oui, c’était devenu presque naturel entre eux. Il ne s’attendait certainement pas à ce qu’elle le ménage. Tout comme elle ne s’attendait pas à ce qu’il fasse preuve de gentillesse à son égard. Ils étaient amis. C’était tout. Et surtout, ils travaillaient ensemble. Quand on y réfléchissait, leur relation était sacrément tordue en fait. Qu’elle idée, vraiment. Lui, le tueur à gage, qui venait en aide à elle, l’ancienne dealeuse de drogue, quand elle se retrouvait dans la merde. Quand elle y réfléchissait, elle était bien obligée de se dire qu’elle lui devait beaucoup. Si elle était de nature violente, elle n’avait jamais été habituée à voler. Finalement, il faisait toujours le sale boulot à sa place, bien qu’ils partagent les bénéfices.

Elle n’arrivait même plus à se souvenir comment toute cette histoire avait commencé. Comment est-ce qu’elle l’avait rencontré. Cela remontait déjà à il y a si longtemps. Elle était devenue si proche d’Edwin qu’elle avait parfois l’impression de le connaître depuis longtemps. Son absence dans sa vie lui aurait parue tout bonnement ridicule. Pas d’ambiguïté entre eux, c’était tout ce qu’elle voulait et jusqu’à présent ils s’en sortaient pas mal. Sans doute parce qu’ils étaient tous les deux froids comme de la glace et qu’il n’y en avait pas un pour rattraper l’autre. Mais malgré tout, elle lui était reconnaissante pour beaucoup de choses. Elle ne le lui dirait pas. Elle ne le dirait même à personne, pas même à elle. Mais elle lui était réellement reconnaissante de tout ce qu’il avait fait pour elle. Non seulement il était une compagnie agréable dans la vie de la jeune femme qui avait tendance à se retrouver perdue quand elle se retrouvait seule, mais en plus, il ne la jugeait pas, ni pour ce qu’elle faisait, ni pour ce qu’elle ne faisait pas. Finalement aujourd’hui, ils s’étaient fait à la présence l’un de l’autre et ils n’avaient presque pas besoin de parler pour se comprendre. Comme deux frères et sœurs en quelque sorte.

~

Lorsque vingt-et-une heure sonna, la jeune femme fila rapidement sous la douche, sans dire un mot à ses sœurs. Non pas que le climat familiale sois particulièrement tendu, seulement il arrivait souvent que la jeune Héloïse n’ait tout bonnement rien à dire. Parler de la pluie, du beau temps et de ce qu’elle avait fait de sa journée ne l’intéressait pas. Elle savait par contre qu’elle venait de payer le loyer, les factures d’électricité et qu’elle n’avait plus rien pour remplir son frigo. Et ça, fatalement, ça lui posait un problème. Elle avait le devoir d’apporter à ses sœurs tout ce dont elles avaient besoin. Après tout, elle était celle par qui tout ce merdier était arrivé. Elle était celle qui les avait entrainés dans sa fuite. Elle aurait pu les laisser là-bas, oui, mais l’idée qu’elles puissent se retrouver face à leur père la dérangeait. Alors elles les avaient forcé à fuir elles aussi. Vingt-et-une heure quarante-cinq. Après avoir enfilé un jean noir et un débardeur, la jeune femme enfila ses bottes en cuir usé. Passant un sweat à capuche par-dessus son débardeur, elle en profita également pour récupérer son arme qu’elle avait cachée dans un tiroir de sa commode. Oui, elle avait bien été obligée de le changer de place, puisque Carly cette espèce d’adorable emmerdeuse qui fourre son nez partout l’avait trouvé. Enfin. Descendant les escaliers qui menaient à la cuisine, elle adressa un simple regard à ses deux sœurs avant de déclarer : « Je sors, pas de questions, j’y répondrais pas. La vaisselle a intérêt à être faite quand je rentre sinon ça va barder pour vos jolies paires de fesses ». Sans un mot de plus et sans écouter les éventuelles réponses non plus, la jeune femme, arme à la ceinture, leur tourna simplement le dos et descendit dans la rue. Un coup d’œil sur sa droite lui permis d’apercevoir qu’Edwin était déjà arrivé. Se dirigeant donc rapidement vers lui, elle lui adressa un immense sourire. « Bonsoir ! Merci d’être venu. Alors, c’est quoi le plan pour ce soir ? ».

Dis-moi tout
J’agirais sans poser de questions
Merci pour tout ce que tu as fait
Et merci d’avance pour ce que tu feras encore

♥

Définitivement, la jeune femme adorait passer du temps en compagnie d’Edwin. Avec lui, les choses n’étaient jamais compliquées. Et il n’était certainement pas le genre d’homme à se perdre dans les détails inutiles. Avec lui, la jeune femme était telle qu’elle était vraiment. Elle ne se préoccupait pas de son regard. Pour la simple et bonne raison qu’ils avaient été autant cabossés par la vie l’un que l’autre. Alors ni l’un, ni l’autre ne se permettait de juger. Qui aurait-elle été pour le juger de toute façon ? Il était tueur à gages, certes. Mais elle comprenait, ce que c’était que de faire des choses atroces pour l’argent, depuis qu’elle était arrivée à Chicago. Et puis précédemment, sa vie n’avait pas été beaucoup mieux. Depuis ses treize ans, elle n’avait pas fait grand-chose de légal dans sa vie. Alors non, elle n’était certainement pas en bonne position pour juger. Et c’était bien le genre de choses dont Edwin se foutait royalement de toute façon, alors elle se contentait simplement d’en profiter. Un ami, c’était toujours utile, même pour elle qui avait pourtant l’air si insensible. Elle savait qu’elle pourrait compter sur lui, qu’importe ce que l’avenir pourrait leur réserver. Et cette simple pensée suffisait à ce qu’elle se sente beaucoup mieux.

« B’soir belle demoiselle! Nouveau contrat, tu as de la chance ce mois-ci ». La jeune femme, en guise de réponse, se contenta de lever les yeux au ciel. Belle demoiselle ? Depuis quand est-ce qu’il jouait le pseudo gentleman avec elle ? C’était tout bonnement ridicule. Et ça ne lui allait absolument pas soit dit en passant. Non pas qu’il ne se comporte pas comme ça avec les femmes en général, mais avec elle c’était tout autre chose. Héloïse était sans doute le meilleur pote d’Edwin. Elle appréciait autant « travailler » avec lui qu’elle appréciait jouer aux jeux vidéo avec lui en buvant une bière. Alors qu’il la qualifie de belle demoiselle la faisait bien rire. Enfin ! Elle n’allait pas chipoter sur les détails, il avait une mission pour elle, ce qui voulait dire rentrée d’argent. Alors elle n’allait certainement pas commencer à chercher la bagarre. Se contentant donc de monter dans la voiture, comme une petite élève bien disciplinée, elle attacha sa ceinture et attendit les instructions.

Qu’on soit honnête, elle détestait ce qu’elle était en train de faire. Et chaque fois, c’était le même problème. Mais elle finissait par se résonner en se disant qu’elle faisait cela pour le bien-être de ses frangines. Qu’on se le dise, elle savait que ce qu’elle faisait été mal. Mais … Avait-elle seulement le choix ? Elle ne voulait après tout qu’offrir le meilleur à ses sœurs. « Henry Pers, 42 ans, pas de gosse, pas de femme, mais des putes à gogo. Il est trafiquant de drogue dans la ville d’à côté. Il a des hommes en pagailles qui viellent sur sa sécurité. Belle maison, vue sur la ville, un vrai terrain de jeu … S’tu veux j’te l’offre après qu’on est fait le ménage ! ». Haussant les sourcils, la jeune femme posa un regard perplexe sur le jeune homme, avant de lui taper le dossier sur l’épaule. « Ben voyons ! Et je dis quoi à mes frangines ? Tiens, salut les filles, on va avoir une belle maison parce que j’ai été mon pote tueur à gage dans sa dernière mission. On a enlevé le macchabé, ne vous en faites pas, ça pu pas la mort ! ». Roulant les yeux au ciel, elle se contenta de parcourir le dossier des yeux. Mais pour être honnête, elle avait un peu la flemme de tout lire. « Alors, il a fait quoi, ce … Henry ? ».

Allez dis-moi qu’on a une bonne raison de faire ça
Enlève-moi le poids de la culpabilité
Mens-moi si tu penses que ce sera mieux pour moi
Mais ne me laisse pas, comme ça, dans le secret.


♥

Qu’on soit honnêtes, ce qu’elle était en train de faire ne lui plaisait absolument pas. Elle était bien consciente que ce qu’elle faisait était grave et qu’en plus c’était mal. Elle n’avait jamais perdu cette notion de bien et de mal. Mais depuis le jour où elle c’était sacrifiée pour ses sœurs, auprès de leur père, elle avait donné une toute autre définition à la chose. Quelque chose fait qu’on pourrait considérer comme quelque chose de mal, alors qu’il était fait pour le bien des autres, n’était finalement pas si mal que cela, non ? Oui, elle aurait bien aimé s’en persuader. Mais elle n’y arriverait probablement jamais. Fixant la route, elle pouvait voir au loin une maison sur une colline et elle supposait que c’était là qu’ils se rendaient. Jolie maison. Elle aurait bien voulut pouvoir vivre dans une maison pareille avec ses sœurs. Elle aurait aimé leur offrir plus que ce qu’elle leur offrait actuellement. Elle n’était pas quelqu’un de bien. Elle ne leur offrait pas le meilleur. Elle leur offrait un appartement minable. Et un jour, une des trois filles passeraient sans doute à travers le plancher en piteux état. Voilà la vie qu’elle pouvait leur offrir. Et pour elle ce n’était pas suffisant.

« Bah quoi ? Moi c’est ce que j’aurais dit, ou alors tu n’as qu’à leur dire que tu as un super pote qui a eu pitié de comment vous vivez et que donc il vous l’a acheté … Non ? Vraiment ça ne te tente pas ? D’accord ! ». Levant les yeux au ciel, la jeune femme croisa les bras contre sa poitrine d’un geste agacé. Non mais n’importe quoi. En plus, certes ils ne vivaient pas dans le luxe, mais elles avaient la chance d’avoir un toit au-dessus de la tête et Héloïse estimait que c’était déjà pas mal. Enfin. Préférant ne pas répondre, elle sera simplement le dossier contre son cœur, comme si c’était un objet précieux. « Tu crois vraiment que je sais ce qu’il a foutu ? J’ai une tête à lire des dossiers remplis de mot qui servent à rien, sinon à te faire complétement chié ! J’sais po moi c’qu’il a fait ! J’sais juste que c’est un trafiquant d’arme et de fille je crois, j’ai cru voir dans le dossier maison close … ». Ah tiens ? D’un coup elle était bien plus intéressée. Elle se souvenait du sale type qui avait voulu vendre sa sœur elle lui avait mis une balle dans la tête. Elle n’aurait aucun scrupule à recommencer. Certes, ce n’était pas elle qui tuerait celui-ci. Mais quand même, il le méritait.

Haussant un sourcil en voyant le sac de sport, Héloïse secoua la tête. Nom de dieu, il pétait les plombs lui, ou quoi ? Ouvrant la portière de la voiture qu’il venait de garer, elle le dévisagea en silence. « Et cette fois-ci ce que tu prends, je compte le récupérer en entier ou le récupérer tout court ! ». Fronçant les sourcils, elle lui colla son poing dans l’épaule. Il n’aurait pas mal, elle le savait. C’était elle, qui avait mal là en fait. Mais il le méritait ! « Non mais dis donc ! Je t’en ai prise qu’une. Et je l’ai sur moi aujourd’hui ! ». Faisant un geste vers sa ceinture pour illustrer ses propos, elle remit ses cheveux en place avant de poursuivre. « Tu sais bien que je ne suis là que pour t’aider avant et après. Je ne le tuerais pas. Mes conditions pour t’apporter mon aide n’ont pas changées, Edwin. Je n’ai pas besoin d’être armée jusqu’aux dents. Je ne suis pas une meurtrière ». Faux. Totalement faux. Elle avait déjà tué quelqu’un. Qu’elle le veuille ou non, elle était bien une meurtrière. Dans le déni, mais quand même. « Ecoute, ce que tu fais ne me dérange pas. Ce mec mérite de mourir, c’est un salop. Mais … Je peux pas. Je ne peux pas faire la même chose que toi. Je n’ai pas ta force et ton courage ».

Ne m’oblige pas
A faire ce que je ne veux pas
Je ne peux pas
Je n’en suis pas capable
Pas encore une fois
Je n’y survivrais pas

♥

Se balançant d’avant en arrière sur ses pieds, la jeune femme attendit simplement qu’il se décide à bouger. Sa décision était déjà prise de toute façon. Sa langue claquant contre son palais, elle attendit que lui-même se prépare, attachant une arme à sa ceinture qui lui arracha une grimace. Elle secoua légèrement la tête, signe qu’elle n’était absolument pas d’accord avec le déroulement des faits. Mais d’un autre côté, l’argent qu’elle amassait grâce à lui n’était pas négligeable. Et dire qu’elle ne faisait ça qu’une ou deux fois par mois. Si elle l’accompagnait dans chacune de ses missions, il y aurait sans doute moyen qu’elle n’empoche une jolie petite somme. Malheureusement, ce serait aussi l’occasion d’inquiéter ses sœurs qui se demanderaient forcément comment elle avait gagné tout cela. Et elle préférait qu’elles ne sachent rien. Techniquement, elle ne faisait rien de mal, c’était Edwin qui faisait le sale boulot. Elle, elle se contentait de vérifier que tout se passait correctement, avant qu’il ne fasse le ménage. Mais elle savait que si Finchy ne dirait rien, il en serait très différent de Carly, qui ne manquerait pas de lui faire la morale pendant des heures. Dieu qu’elle pouvait détester avoir une sœur avec une aussi grande gueule …

D’un mouvement hésitant, elle le suivit, alors qu’il forçait l’entré de derrière. Sur ses gardes car non-armée – Edwin n’était pas obligé de savoir que son arme n’était pas chargée n’est-ce pas – elle le suivit quand il lui fit signe d’entrer. La villa était magnifique et c’était parfaitement le genre d’endroit qu’elle aurait aimé habiter dans ses rêves les plus fous. Mais finalement, elle se plaisait aussi pas mal dans son appartement, avec ses deux sœurs. Elles étaient en famille et c’était bien tout ce qui comptait à ses yeux. La jeune femme le laissa alors monter à l’étage. Elle savait ce qu’elle avait à faire : fouiller le bureau, qui comme tous les bureaux des riches propriétaires, devait se trouver quelque part au rez-de-chaussée. Elle avait suffisamment accompagné Edwin pour savoir que ce genre de maisons étaient toutes construites de la même façon. Aussi elle ne perdit pas de temps. Elle trouva d’ailleurs rapidement le bureau et entreprit de fouiller les tiroirs, cherchant une quelconque trace de papiers pouvant prouver les magouilles de ces hommes. Finalement, elle savait qu’Edwin se fichait pas mal de ce genre de détails, mais son employeur, lui, avait besoin de ces documents pour les clients qui payaient. Car oui, contrairement à ce que l’on pouvait croire, ces meurtres n’étaient pas commis pour rien et … Elle s’interrompit soudain. Une arme braquée sur sa tempe la dissuadait de bouger. « Tu ouvres la bouche et je repends ta cervelle sur le carrelage, c’est clair ? ». On ne pouvait plus clair, en effet. Un homme tira sur ses cheveux, l’empoignant pour l’obliger à se relever. Et dans le couloir, elle entendait un boucan qui lui faisait comprendre qu’Edwin avait des ennuis.

Un coup de feu retentit et elle retint un cri, ne sachant qui avait été touché. C’est alors qu’elle le vit se cacher derrière un mur. Son cœur tambourinait violemment dans sa poitrine, alors que deux armes étaient braquées sur elle et qu’un troisième homme la maintenait immobile. Des échanges de coup de feu et l’un de deux hommes armés s’écroula parterre. Le second, déstabilisé par ce geste fut assez déconcentré pour qu’elle attrape son poignet et qu’elle lui prenne son arme. L’homme tira d’avantage sur ses cheveux, mais elle lui mit un coup de coude entre les jambes, le faisant lâcher prise. Un coup de feu retentit et le second homme s’écroula. Elle mit plusieurs secondes avant de comprendre que c’était elle, qui avait tiré. Déstabilisée, elle lâcha l’arme. L’homme qui avait saisi ses cheveux précédemment en profita pour la frapper. Elle bascula en avant, sa tête heurtant la surface froide du bois vernis d’un bureau de style ancien. Son front s’écorcha et une certaine quantité de sang s’écoula de sa blessure, caressant sa tempe, s’écoulant le long de son cou pour s’échouer sur le tissu qui recouvrait sa poitrine. Sa vision se brouilla, sous l’effet du choc violent. Et soudain, ce fut le noir le plus total.