❝ And what if it makes you laugh now but you cry as you fall asleep? And what if it takes your breath and you can't hardly breathe? ❞ « Jeremy, viens avec moi. Allez, viens, on ne peut pas rester là ! Dépêches-toi ! » Et encore une longue tirade dont le garçon n'écouta rien. Elle continua à s'égosiller en gesticulant durant plusieurs minutes, avant de se baisser pour attraper Jeremy et le prendre dans ses bras, le portant sans qu'il n'oppose la moindre résistance alors qu'ils retournaient vers la villa des Hatcher. Surpris par les bruits des attentats, le garçon, âgé de sept ans, était sorti en courant, curieux. Avec la fumée, il n'avait rien vu. Peut-être n'y avait-il rien à voir... Pourtant, quelque chose, sans doute, l’instinct, l'avait poussé à reprendre sa course, à courir, courir, toujorus plus vite, sa baby-sitter criant et pleurant derrière lui. Arrivé à une distance raisonnable des lieux, il s'était arrêté net. Il avait observé les bâtiments, les gens, tout. Il s'était attendu à éclater en sanglots devant pareille tragédie, devant les corps, les ruines, les personnes vivantes mais ayant perdu un proche et, avec cela, une partie d'eux-mêmes. Il aurait dû être dévasté, effrayé, malheureux, sanglotant, perdu,... Mais rien en s'était passé. Les battements de son coeur s'étaient faits plus rapide et sa respiration haletante. A cause de la course. Rien à voir avec toute cette rage, cette tristesse, tous ces sentiments humains qu'il ne parvenait pas à ressentir. Imaginer sa petite soeur dans les décombres, cette petite princesse aux cheveux d'or, joyeuse, s'émerveillant de tout, toujours vêtue de rose, lui fit mal. C'était bien la seule chose capable de percer sa carapace de "non-sentiments": il aimait sa soeur. Plus que tout. Plus qu'il n’aimait ses parents. Il aimait sa petite Amy et elle n'était plus là. Alors que la baby-sitter lui demandait si ça allait, il eut un petit pincement au coeur. Petit. « Il doit faire chaud là-bas. »

Les bras croisés, calé dans son fauteuil, Jeremy observait en silence sa psychologue. Du moins, elle pensait qu'il l'observait. En réalité, il fixait l'extérieur à travers la baie vitrée se trouvant juste derrière elle. Semblant enfin s'en rendre compte, la jeune femme se leva et tourna le fauteuil de son patient vers l'intérieur. Il se mit à observer la décoration de la pièce sans manifester un quelconque intérêt pour elle. « Ho ! C'est bon là, si tu veux que je sois payée à rien faire, d'accord, mais précises-le, que je ne reste pas là à faire un monologue. » Posant enfin les yeux sur elle, lui accordant l'attention qu’elle demandait depuis le début de la séance, Jeremy répondit avec le langage soutenu que sa chère nouvelle famille lui demandait d'employer. Se moquant ouvertement d'elle et de sa familiarité envers lui. Il sourit légèrement, aussi charmeur que moqueur. « Je n'ai jamais demandé à être suivi par un psychologue. Une psychologue, dans le cas présent. Mon père, ma mère, mon oncle et ma petite soeur sont morts dans les attentats du onze septembre, il y a de cela sept ans. Et je ne ressens rien. Je vous en parles comme si c'était la chose la plus anodine au monde, ça ne me fait rien. Ils sont mort, morte, mort et morte, je le sais, et quoi que nous fassions, ils ne reviendront pas. Je ne les ai jamais pleurés, et pourtant... Je me retourne au milieu d'une phrase pour constater que je suis seul, que je parle au vide. Je me réveille avec ce besoin de vérifier si Amy va bien, avant de me souvenir qu'elle n'ira plus jamais ni bien, ni mal. » Il se leva et s'approcha de la jeune femme restée pétrifiée par ses mots. « J'ai des problèmes, et vous ne pouvez pas m'aider. » Lui glissa-t-il en sortant. La porte claqua. Un silence pesant s'abattit sur la pièce.




❝ I said it's too late to apologize, it's too late. I'd take another chance, take a fall, take a shot for you and I need you like a heart needs a beat. But that's nothing new ❞« William-Natan Jeremy Hatcher ! Ici ! Tout de suite. » Des pas retentirent en haut des escaliers, l'interpellé apparut sur le palier. « Ouaip ? » Puisque personne ne se donnait la peine de répondre, se contenant d'attendre qu'il s'exprime avec distinction, Jeremy soupira, recula puis réapparu avec un sourire courtois. « Q'y a-t-il ? » Satisfait, son père adoptif lui fit signe de descendre. Adoptif... Oui, il avait été adopté. Après les attentats, sa baby-sitter l'avait recueillit, avant d'entamer une procédure d'adoption qui s'était soldée par un échec. Et, à à peine sept ans, le garçon s'était senti comme une marchandise passant de mains en mains, comme un objet que tous voulaient. Aurait-il dû être flatté de susciter tant d'attention ? Il n'en était rien. Il se sentait mal, il voulait juste être tranquille, seul s'il le fallait, mais tranquille. Et les Hawkins l'avaient emporté. Tel un objet mis aux enchères. Depuis lors, il vivait avec eux, et consultait une psychologue par obligation. En dehors de la maison, il était un adolescent normal, cancre sur les bords, dedans il se comportait quasiment comme un aristocrate. Peut-être étais-ce mieux ainsi, car il n'avait pas la moindre envie de témoigner ne serais-ce qu'un peu affection pour son père, sa mère ou ses soeurs. « Tu déménages. » Il retint un cri de joie. « Où ça ? » Et on lui expliqua durant ce qui sembla durer des heures à quel point c'était désolant, qu'il leur manquerait énormément, bla bla bla. Pour finalement avouer qu'il avait de la famille en Angleterre, famille réclamant sa garde.

« Jeremy. » se présenta-t-il en tendant la main à la jeune femme. Celle-ci gloussa et, ignorant sa main tendue, l'embrassa sur les deux joues avant de s'éloigner, lui ayant simplement dit s’appeler Tiphaine. Il sourit pour lui-même. Bêtement. Puis une certitude s'imposa à lui : je l'aime. Et voilà, à peine quelques jours en Angleterre et voilà que la seule chose qu'il ne souhaitait pas lui tombait dessus ! Prenant conscience qu'il avait encore la bouche à moitié ouverte, il la referma vivement et s'éloigna. Si ses cousins le voyaient... Eh bien il serrait cuits, toute la famille saurait, toute la famille rirait et il en aurait pour des mois avant qu'ils n'oublient. Il les aimait beaucoup, ils ressemblaient à sa mère, beaucoup moins sophistiqués que son père biologique, et à l'opposé totale de sa famille adoptive. Il était heureux, seulement, il avait du mal à s'accoutumer aux coutumes anglaises, à la nourriture, aux gens. Bref, il avait un peu le mal du pays. Cela lui passerait ! Et puis il était amoureux, plus rien ne comptait. Trois semaines plus tard, Tiphaine et lui ne se quittaient plus. Et peu importait que sa famille le charrie, parce qu'il l'aimait et, que, à seize ans, il savait que c'était la seule et unique personne pour laquelle il ressentirait quelque chose d'aussi fort.

Un bruit de verre cassé les fit sursauter. Tiphaine et Jeremy. Jeremy et Tiphaine. Le jeune homme avait brisé son verre dans son poing serré sans s'en rendre compte, jusqu'à ce que le bruit le lui apprenne. Son visage ne témoignait aucune émotion, et c'était peut-être le plus effrayant. « Jeremy, je t'en prie, dis quelque chose... » Il leva les yeux vers elle, un sourire in déchiffrable aux lèvres. Son ton était dur lorsqu'il prit la parole. « Et que veux-tu que je te dises ? Je ne vais pas t'applaudir, chérie, parce que c'est la plus grosse connerie que tu pouvais commettre. Je te déteste. Je te déteste plus que je n'ai jamais détesté personne. Je t'aime tellement que je te déteste. Et... » Il ricana, passa une main dans ses cheveux puis sur son visage aux traits tirés par la fatigue. « Laisse-moi. Dégage, prends tes affaires, prends tout ce que tu veux. Je... c'est pas mon problème. Va retrouver celui qui t'as mise en cloque avant que je ne change d'avis et que je t’obliges à me dire qui c'est, parce que ça ferait terriblement mal. Je suppose que tu ne veux pas blesser ton chéri. Pars. Content que ton gosse puisse avoir un meilleur père que moi, c'est vrai que pourquoi aurais-tu voulu de mon enfant ? Hein, pourquoi est-ce que tu aurais voulu du gosse d'un taré ? »




❝ Sunday, Monday, Tuesday came Thursday, Friday just the same. Now I'm back to find a way to say the things I didn't say ❞ Ça fait du bien de revenir chez soi. De se sentir enfin chez soi, après avoir été baladé ça et là durant des années. Dix-neuf ans, l'âge du renouveau. En tout cas, pour Jeremy. L'âge d'être lui-même, l'âge de foutre tout en l'air pour recommencer là où cela lui plairait. Reprendre sa vie en mains après se l'être vue dictée durant de trop longues années. Seul petit problème: son cerveau. Psychopathe un jour, psychopathe toujours. Il le savait, il avait seulement tenté de l'oublier. Mais lors de sa rupture brutale avec Tiphaine, il avait su que jamais il ne serait normal. Parce qu'il avait envie de tout casser, de trouver ce salopard et de le tuer, de montrer qu'elle lui appartenait, à lui et à lui seul. Il lui avait dit de partir avant qu'il ne disjoncter et, une fois la porte refermée derrière elle, il avait effectivement pété un plomb. Il aurait tué n'importe qui... Au lieu d’enfouir et de fuir son problème, Jeremy y fit face. Il suivit des thérapies, appris à se contrôler, il fit tout ce qu'il était possible de faire. Avant de s'en prendre à quelqu'un. Un soir, tard, alors qu'il venait de boire énormément, il a faillit tuer quelqu'un. Coup de chance: la personne n'a pas porté plainte. Et Jeremy à quitté New York, ville bien trop stressante pour lui, bien trop pleine de souvenirs.

Chicago, juin 2013

Je crois que le véritable problème, ce n'est pas que je suis malade, mais que je refuse de l'avouer. Je suis une vraie plaie pour mes préparateurs au boulot, je les fait plier à mes moindres désirs. Je suis froid avec la plupart des gens, je me fous pas mal de ce qu'ils ressentent, tout ce qui compte c'est moi, ma petite vie minable et mes problèmes. Mon secret. Je ne suis pas moi. Les cours me passionnent, c'est là et uniquement là que je me montre comme je suis: curieux, intéressé par ce qu'on me raconte, envieux d'apprendre. Là et avec le groupe. La musique me détend, jouer m'amuse, et les gars ne savent pas que j'ai des problèmes, acceptent n’importe quelle excuse. J'aime Chicago. J’aime les cours. J'aime ma petite Princess. Et je ne cesserais jamais d'aimer Tiphaine.