« Ils ne savent pas à quel point ça me ronge de l'intérieur. À quel point j'en bave. J'en crève. Je meurs de toute cette angoisse qui s’initie en moi comme une saleté de gaz carbonique. Je suffoque, ma respiration siffle et ma gorge s'obstrue alors je crie, je gratte le sol mais rien n'y fait. Et tout mon self-control se tire d'une traite. Une ombre passe, je vois un démon. Un bruit de pas et je me sens happé par le ciel. Un lumière et je suis aveuglé. Parfois je me sens si mal. Je me sens si mal qu'il faut que je la fasse sortir -l'angoisse. Il faut qu'elle sorte de moi, il faut que tout parte alors je prends les lames de rasoirs. Ou les couteaux dans la cuisine. Et je dessine. Sur mes bras. Mes cuisses. Mon ventre. Je vais mieux. Je m'allonge sur le sol et je regarde le plafond. J'espère m'endormir pour toujours mais ça ne marche jamais ; je ne coupe pas assez profond. Pas les bonnes veines. Souvent quand je me réveille, tout va mieux. Tout redevient normal, les bruits ne sont plus amplifiés et la lumière ne m'arrache plus violemment la rétine. »

Il fait froid. L'infirmier cogne à la porte et pénètre dans la chambre. Un homme le précède, il est vêtu d'un vieux tablier, a le regard vide, la peau des doigts épaisse, les traits durs et torturés. « Fiston je ... » l'adolescent saute dans les bras de son père qui le serre tout contre lui. Cœur contre cœur. Putain comment ça avait pu devenir aussi dur ? Pourquoi il avait tant de mal à le regarder dans les yeux sans éprouver ce sentiment de culpabilité permanent ? Le pauvre gosse. Il n'y était pour rien. Lui non plus n'y était pour rien. La pauvre mère s'était immolée. Sous les yeux de son fils. Impuissant. Incapable de faire quoi que ce soit, tout était fini, il était trop tard quand les flammes se sont arrêter de crépiter. Elle lui manquait déjà tellement. Et chaque crise d'angoisse le rendait davantage vulnérable. Et cet endroit le transformait en machine à avaler des pilules. Plus rien n'avait de sens, les journées, les nuits ; la lumière tamisée de la chambre restait la même. La consigne des infirmiers était de ne laisser aucun objet tranchant à proximité de celui qu'ils appelaient 'le patient'. Puis il a fallu lui couper les ongles. Le faire dormir des journées entières. Empêcher l'angoisse de s’accrocher à lui comme carcan se resserrant autour de sa trachée. « Je veux rentrer papa, j'aime pas ici, je veux revenir à la maison … » ces yeux cobalts, larmoyants, implorants ; il ne pouvait plus les supporter. Chaque fois ses genoux tremblaient et l'étreinte glacée que lui offrait son fils traduisait son manque de confort. Cet endroit n'était pas pour lui. Maxxie n'était pas un fou et jamais ses crises d'angoisse n'avaient été aussi violentes que depuis le jour où il s'est laissé enfermer dans cet endroit foncièrement placide. Trop placide. C'en était inhumain. Les seuls bruits qui ricochaient de temps à autre sur les murs froid de l'établissement étaient les gémissements, les cris des patients. « C'est bientôt fini. Bientôt … » il lança un regard assassin vers l'infirmier qui baissa la tête. Et lui il savait ? Il se rendait compte à quel point c'était déchirant de voir ceux qu'on aimait dans un endroit aussi austère ? Un endroit rythmé au son des gouttes des machines, des claviers des secrétaires à l'entrée, du bruit des portes, des cris des patients fortement atteints. Il ira mieux, qu'ils disaient. Ils mentaient. Maxxie avait perdu cinq kilos. Avait des cernes. Pleurait au moindre contact humain. Tirait sur ses mèches brunes pour combler l'absence des lames. Et s'il ne crevait pas un peu plus à chaque bulle d'air qu'il gobait avec peine dans sa chambre, son père se demandait à quoi il passait ses journées. Maxxie lui parlait de ses livres. De ses voyages romanesques. Et jamais son père n'avait été aussi impatient dans son entière vie que le jour on lui a annoncé que la sortie de son fils pourrait très bientôt être envisagée. Plus de place, plus de budget, il s'en fichait. Son gosse n'était pas malade.

« Le jour où j'ai enfilé un pantalon et un t-shirt. Que j'ai pu faire un pas hors des limites tracées pour l'hôpital. Que j'ai pu respirer les effluves que libéraient le vieux bitume de la ville, les pneus de la voiture, ses sièges, les rues dans lesquelles j'avais grandi … et enfin. La maison. Tous les morceaux de mon cœur se sont recollés. Attirés par un centre de gravité. Comme si une infime boule de bonheur les avait appelés. Tout s'estompait progressivement ; les sensations de manque et de besoin ; j'avais envie de m'ouvrir la cage thoracique et de crier. D'abandonner mes cordes vocales à tout ce qu'elles n'avaient pas pu faire pendant toute une année. La seule qui s'était refusée à me quitter était l'angoisse. Elle m'habitait encore et partageait son empire avec l'anxiété. Y aller progressivement … alors que moi, je voulais retrouver mes vieux potes et rire avec eux, comme avant. J'avais oublié que le temps ne s'était pas suspendu. Personne ne m'avait attendu. Tout avait évolué. Et je n'était plus rien ; juste un grain de sable à qui on avait mal indiqué le chemin. Une vulgaire poussière égarée. »

Maxxie ne savait pas pourquoi il était là. Assis en tailleur, le regard posé sur une vulgaire bouteille qui tournait -ce genre de jeux, à cet âge ? Il était fatigué par l'alcool qu'on lui avait obligé à ingurgiter. Ses yeux rougis par la fumée se fermaient tout seul. C'est lorsqu'on lui a donné une tape sur l'épaule que le brun est sorti de sa léthargie. « Et le taré. C'est à toi. » le taré. Ils ne se rendaient pas compte à quel point ce mot le blessait. Il avait tellement hâte que son père soit muté. Il sentit les regards sur lui l'implorer d'agir vite. Il devait faire quoi ? Embrasser qui pour pouvoir se tirer de cet endroit ? Ça ne l'enchantait pas plus que ça. Il n'aimait même pas le contact d'une bouche féminine. Il trouvait ça fade. Et il voulait s'en aller vite. Puis tout bascula lorsqu'on le poussa vers ce garçon. Un garçon ?! Il cligna des yeux. On ne pouvait pas l'obliger, c'était cruel. Il n'avait jamais embrassé de garçon, il ne voulait pas que son premier baiser soit raté et source d'un stupide jeu. Mais chacun hurlait « EMBRASSEZ-VOUS ALLEZ. » et une main aussi grosse que son crâne l'attira. Il ne voyait pas. Il sentait juste les lèvres dures, froides, la langue et la main qui lui arrachait les cheveux. À la fois humiliant et écœurant, son seul souhait était que cet épisode se termine enfin, qu'il puisse remballer et rentrer. Mais des larmes se mirent à perler au creux de ses yeux lorsqu'il sentit la personne se décoller et ses cheveux se libérer. « C'est moi ou tu chiales ? » Maxxie s'essuya les yeux et reprit sa place. Il se leva d'un bond et fit disparaître les gouttes qui coulaient sur ses joues roses. « On va en faire quoi de ce pauvre mec. » ils se mirent à rire mais il ne les entendait plus. Il était déjà parti. Il était loin. Et il ne voulait plus jamais avoir affaire à eux. Plus jamais de soirée, de bouteille qui tourne, de rires, de baisers improvisés. Ses lèvres brûlaient et il voulait se débarrasser de l'odeur alcoolisée qu'avait laissé le souffle de son 'partenaire'.

Le chagrin ça peut rendre un homme fou. Le père de Maxxie était amoureux de sa femme. Il l'aimait. Avait sur le bout des doigts des picotements rien qu'à se souvenir de ses mèches blondes assorties à au cobalt de ses yeux. Les mêmes yeux que Maxxie. Maxxie était le seul souvenir qu'il lui restait d'elle -et putain, il s'en voulait, il aurait dû savoir, se rendre compte, elle était si mal, elle vivait dans la torpeur et maintenant qu'elle n'est plus là, le manque est poignant. Le manque rend fou. Entre deux fiasques de whisky, il crie son prénom et brise le silence permanent de l'appartement austère qu'il partage avec son fils. Enfin. Partager, un bien grand mot. Le gamin n'entre et sort que pour se nourrir. Il a conscience, il est devenu monstre et fait peur à son propre gosse, c'en est affligeant. Ça faisait trois ans qu'elle n'était plus là. Un an qu'ils vivaient ici à Chicago. Et seulement quelques jours que Maxxie était détenteur de l'uniforme du Starbuck's Coffee. Il aspirait à une vie meilleure -pour sûr- mais n'avait pas l'argent de son père pour assurer ses arrières ; il lui fallait donc un boulot comme ça pour commencer à faire quelques économies. Tout devait être simple. Jusqu'à ce qu'il tapote le bout de sa clef sur le comptoir ciré avec une impatiente palpable. Ses sourcils étaient broussailleux. Froncés. Son sourire, fulgurant. Son regard émeraude, meurtrier. Sa voix, intimidante. Quand il est repartit Maxxie avait les joues en feux. La vieille Mag qui lustrait les tasses lui donna un coup de coude dans le flanc et lui murmura et ricanant qu'il avait une touche. Le brun secoua énergiquement la tête. Qu'il se retire cette idée de là. Il se fichait pas mal de sa vie amoureuse -il n'en aurait peut-être même jamais, ça lui était égal, il vivait l'amour dans les livres. Puis ce mec avait l'air hautain et sûr de lui. Il était étonnement beau et possédait un charisme naturel. Riche d'après le sigle sur ses clefs de voiture et la montre à son poignet. Il ne voulait même pas y penser une seule seconde. « Je peux avoir ma commande maintenant ?! » « Je … tenez désolé. » « Ouais merci … Abruti. » *sight*