« Souris, mon fils, souris. »
D’un banal réflexe, le jeune homme se redressa bien droit, accentuant son sourire. Il serra quelques mains supplémentaires, regardant dans le vide pendant que son père échangeait quelques mots avec les convives. Ces politesses étaient si rébarbatives et pourtant, il fallait bien passer par là, encore une fois. Le monde autour de lui devenait flou dans ces moments. Il entendait des gens rire dans un bruit sourd et une musique classique des plus soporifiques. Ses yeux se posèrent sur le buffet qui se trouvait derrière. L’héritier Rockefeller observait la main de sa jeune sœur se rapprocher dangereusement d’un plat de petits fours. Un mince sourire se dessina sur son visage en voyant son regard empli de gourmandise et de liberté. D’un certain coté, il l’enviait. Cette petite Charlotte ne tenait décidemment pas en place. Même si ce genre de réception ne lui plaisait pas tant que ça non plus, contrairement à elle, il avait su se résigner avec le temps et suivre à la lettre le protocole de bienséance sans jamais broncher. Le jeune homme faisait ainsi toujours grande impression. La tape de son père sur son épaule le sortit brusquement de son état de veille.

« …N’est-ce pas Caleb ? » lui lança son père. Il ramena son regard devant lui, et l’ami de son père avec qui il était en train de discuter. Caleb n’avait pas suivi le début de la conversation et c’était avec hésitation qu’il répondit « Oui… Absolument ». Apres une dernière poignée de main avec cet ami qui les laissait, Monsieur Rockefeller demanda à son fils avec un regard intrigué « Alors, c’est vrai ? Tu as changé d’avis ou tu as dit ça pour me faire plaisir ? ». « Pardon, papa, de quoi parlez vous ? ». « Tu comptes aller à Harvard l’an prochain ? Tu sais que cela rendrait très fier ton grand-père sans parler…». Caleb le coupa, légèrement agacé par ce discours qu’il avait mille fois entendu « Papa, nous en avons déjà discuté, c’est de Yale que sortent les plus grands politiciens, Bush, Clinton… ». Son père porta la coupe de Champagne à ses lèvres et ajouta « Pas forcément les meilleurs si tu veux mon avis. Mais bon, si nous avons la possibilité d’avoir un Rockefeller sénateur… ».  Caleb afficha un sourire triomphant et fit tinter sa coupe contre la sienne, avant d'aller rejoindre sa petite soeur. « Bonne soirée papa ».



C’était une soirée comme il en existait tant au sein de ce genre d’université. Tout y était grand, tout y était exagéré, tout y était fou. Les étudiants de Yale fêtaient la fin de leur période d’examens de fin d’année et tout le monde, sans exception, était là pour décompresser. Caleb avait toujours été friand de ce genre de soirée, qui ressemblait si peu à toutes les mondanités qu’il avait du endurer pendant des années. Au moins, il pouvait être réellement lui-même et s’amuser. Ce n’était toutefois pas le genre à faire des bêtises, gardant sa droiture et sa maturité en toute circonstance. Mais ce soir-la, il était réellement satisfait de ses exams et était sur qu’il avait vraiment cartonné. C’était donc avec une confiance inébranlable que Caleb décida de profiter de cette dernière soirée avant de retrouver sa vie barbante à New York pour l’été. La seule chose qui lui donnait envie d’y retourner était l’idée de revoir Charlotte, qu’il voyait rarement en dehors des vacances. Il lui arrivait de s’inquiéter pour elle, d’avoir envie d’aller à Cambridge lui rendre visite, mais avait toujours fini par se rassurer.

Les bouteilles d’alcool avaient tendance à se vider rapidement, et les esprits commençaient à s’échauffer.  Caleb rigolait toujours avec ses amis, jouant à celui qui boirait le plus de shots de vodka. Le jeune homme n’avait surement jamais autant bu de toute sa vie mais du s’avouer vaincu tellement il n’arrivait plus à coordonner ses mouvements correctement. Il marmonnait des choses incompréhensibles en rigolant bêtement et finit par aller s’asseoir avec un de ses potes sur un canapé pour embêter des secondes années. Il se retrouva à coté d’un certain Andrew. Complètement saoul, Caleb commença à se moquer et à jouer avec les cheveux du jeune homme, parfaitement coiffés. « Bah alors, on aime se faire des petits brushings. Haha ! » Fasse à la gêne du jeune anglais qui essayait d’enlever ses cheveux d’entre ses doigts, Rockefeller ajouta « Rooh, ça va, c’est pour rire. Allez, viens là ! » D’un mouvement plus qu’incertain et totalement aléatoire, il se pencha vers lui et lui embrassa les lèvres. Ce fut ensuite le blackout, impossible de se rappeler la suite des évènements. Il se réveilla en vrac le lendemain dans sa chambre, avec un mal de crane monumental, mais surtout avec la certitude que tout le monde oubliera vite cet incident diplomatique.
Et pourtant, la nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre au sein de l’université…



Un porteclé I ♥ NY se balançait autour du doigt de Caleb. Il le faisait tinter contre celui en forme d’anneaux Audi au rythme de la musique qu’il chantonnait. Le jeune homme déposa son dernier sac dans le coffre de sa voiture et ferma le capot, avec un regard légèrement nostalgique. Il n’avait pas à s’en vouloir, il avait eu le mérite d’essayer. D’essayer d’étouffer cette stupide histoire qui lui gâchait son début d’année. On avait cessé de le lui rabâchait, colportant d’étranges rumeurs à son sujet. Caleb avait fini par regarder la réalité en face, le meilleur moyen pour éviter que cela ne s’ébruite en dehors de Yale était de partir pour laisser cette erreur se faire oublier. Il avait appelé ses parents la semaine dernière pour leur annoncer la nouvelle de son départ. Il avait fait lui-même toutes les démarches pour son transfert à Harvard, laissant les raisons de ce changement plus que floues. Son père n’avait pas essayé de chercher plus loin, il était ravi de voir que son fils se raisonnait enfin à rejoindre la prestigieuse université de Cambridge dans laquelle il avait lui-même étudié.

Au fond, Caleb n’était pas mécontent de changer un peu d’air et de pouvoir voir plus souvent sa sœur Charlie. On racontait qu’elle était tres populaire au sein d’Harvard et la vice-présidente d’une confrérie regroupant toute l’élite du campus. C’était donc sans crainte et même avec fierté qu’il comptait s’installer là-bas. Apres tout, cela ne pourrait pas être si différent de ce qu’il avait connu et sa réputation serait de nouveau parfaite. C’était tout ce qui comptait réellement, pour le reste, il s’adapterait. Caleb ouvrit sa portière et s’installa au volant de sa superbe voiture qu’il démarra sans plus d’hésitation, direction Cambridge, Massachusetts.  



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