« Salut la miss. » Je tourne les yeux et me retrouve face à cette blonde écervelée qui me suit partout depuis la rentrée. Un de mes sourcils se lève, qu’est-ce qu’elle va encore bien pouvoir me sortir de si intéressant ? Mon casier se referme, je le claque sans gêne, faisant sursauter une fille plus jeune à côté de moi. J’esquisse un sourire taquin, malicieux et commence à marcher vers la sortie de l’établissement. « Vu que tu es irlandaise, ça te dit une fête sur ce thème ? » Alors celle-là elle était bonne, j’imagine déjà les lutins à l’entrée de la salle et un manque cruel de variété d’alcool, la blonde pensant très certainement que les irlandais ne boivent que de la bière. J’avance dans les couloirs sans relever sa proposition, mais chiante oblige, elle s’empare de mon bras qu’elle tire comme une gamine alors qu’elle est au lycée, et re propose cette idée stupide. « Oui, avec des trèfles et du vert partout surtout heun. » Je soupire et avance en me foutant ouvertement d’elle. Bon sang ce qu’elle peut être stupide. Elle ravive ces souvenirs douloureux de cette rupture avec mon pays natal, l’annonce du déménagement par nos parents, quittant Dublin pour Chicago. Rupture toute fraiche. La fin du lycée allait arriver et je voulais quitter le monde des adolescents avec fierté et non avec une fête aussi stupide. A mes côtés, me suivant comme un petit chien, elle compte déjà les invités, les trois quarts que je ne sais pas sentir au passage, et prévoit déjà des chapeaux verts. « T’es pas sérieuse ? Désespérant. » Elle me regarde étrangement, comme si elle ne pigeait pas ce qui clochait. Bordel, vivement l’entrée à l’université. Ma main enfouie dans mon sac us à bandoulières, je prends mon MP4 et ne me gêne pas pour allumer un bon vieux son de rock alors qu’elle continue de parler toute seule de sa super fête sur un pays qu’elle ne connait pas. Oui, elle ne connait rien à l’Irlande, elle ne connait pas ces fêtes géniales dans lesquelles je dansais avec Ashton comme une folle, les chants, la solidarité, les champs verts et le calme. L’opposé des Etats-Unis si on faisait le bilan de mon impression depuis mon arrivée. Je pousse les portes du lycée, le soleil venant m’éblouir le visage. Mes lunettes aviateurs sur le nez, je pars sans même prendre la peine de lui dire au revoir alors qu’elle tente désespérément de me faire plaisir. Elle est amoureuse ou quoi ? Secouant la tête d’un air désespéré, j’observe les gens dans la rue, ignorant un garçon qui me salue de l’autre côté de la rue. « Abruti. » Je marmonne et accélère mes pas au rythme de la musique et finis par abandonner, la musique de bourrin que j’écoute étant définitivement trop rapide pour que je tente même de suivre le rythme donné par le batteur du groupe. J’entre alors dans l’épicerie familiale, embrasse la joue de ma mère, salue mon père de la main qui range les rayons et monte en toute hâte jusqu’à la chambre d’Ashton. Glissant ma tête dans sa chambre sans même prendre la peine de toquer je lance une vanne « Alors prêt à te prendre une déculottée au tennis ? » puis repars, sachant pertinemment au fond de moi que mon bouclé de frère est nettement meilleur. Ma porte de chambre se ferme, la musique quitte mes écouteurs pour finir à fond dans la maison. Voilà, Eden est rentrée en toute discrétion…




Cher journal,

Je n’ai pas pu t’écrire hier, pour la simple et bonne raison que d’écrire après quatre du matin n’est pas vraiment recommandé. Ça aurait très bien pu être une soirée banale. Alcool, des mecs, de la musique à m’en péter les oreilles, mes pieds détruits à cause d’une danse un peu trop poussée. Et pourtant, hier il s’est passé quelque chose de bizarre. Pas au niveau de l’ambiance, des autres. Seulement de moi. Je pensais pourtant me connaitre par cœur, ne plus rien à avoir à découvrir sur moi et pourtant… Il y avait cette blonde à la fête, tu sais la greluche du lycée dont je t’ai parlé maintes et maintes fois ? Je ne pouvais pas en parler à Galaa, elle a déjà assez de soucis pour que j’en rajoute une couche. Je ne m’imagine pas non plus à parler à Ashton, il est trop jeune, enfin je garde ce regard attendri quand je le regarde, j’ai du mal à voir qu’il grandit trop vite. Quant à ma grande sœur, elle ne me comprendra jamais, comme nos parents j’imagine. Je ne veux saouler personne avec mes soucis, mes interrogations. Je suis grande, j’ai un job et je continue de me chercher. C’est flippant. J’avais des doutes quant à cette chose qui me touchait, mais je mets toujours des œillères quand il s‘agit de choses que je trouve gênante. Car oui, embrasser une fille pendant cette soirée et aller plus loin c’est gênant à mes yeux. Comment en parler à un entourage qui ne le comprendrait peut-être pas ? J’ai confiance en mes frères et sœurs, je sais que je peux leur parler, mais je n’en ai pas le courage. Un seul m’est venu à l’idée : mon jumeau. Il assume sa nature contrairement à moi. Il m’encourage dans cette voix, il m’assure que je vivrai surement mieux si je m’assumais mais je n’y arrive pas. J’ai commis une erreur monumentale hier mais une partie de moi ne regrette rien. Je sais que je peux lui faire confiance, qu’il ne dira rien à personne. J’ai honte. Je n’ai plus jamais envie de la croiser, même si elle avait bien muri depuis le lycée et était devenue bien plus adulte et intelligente. Bordel, qu’est-ce qu’il m’arrive ?


Voilà six mois qu'Eden a écrit ces pages. Depuis, personne hormis son frère est au courant de cette nature chez elle. La brune continue de travailler comme serveuse dans un bar et rêve de travailler dans le cinéma. Ses parents tiennent toujours l'épicerie familiale, et malgré les soucis personnels de chacun, les enfants restent soudés. Elle n'a pas revu cette blonde à cette soirée, en revanche elle a retenté l'expérience plusieurs fois...